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Inactualités de Montesquieu: Valéry, Caillois, Starobinski

 ARTICOLO SCIENTIFICO

  • Data ricezione: 04/01/2023
  • Data accettazione: 08/02/2023
  • Data pubblicazione: 06/03/2023

Abstract

Montesquieu occupa, nella storia del pensiero francese, una posizione di compromesso tra la prospezione e la retrospezione. Sebbene di nobili origini egli contesta, con il suo relativismo, i privilegi di casta; paladino della sincerità e della trasparenza, rivendica il diritto all’opacità, unica condizione di libertà. Di qui la sua posizione «inattuale», raccolta da tre grandi intellettuali del Novecento: Paul Valéry, Roger Caillois, Jean Starobinski. Sarà lo spazio liminare della prefazione alle proprie opere ad assicurare a Montesquieu  un certo margine di libertà di espressione;  similmente, sarà attraverso un intervento d’occasione – scritto prefatorio o conferenza –  che i tre intellettuali si pronunceranno sull’inattualità di Montesquieu andando così, contro lo spirito dei tempi, a legittimare la propria. 

Montesquieu occupies, in the French historical thinking, a compromise position between prospection and retrospection. Though he was an aristocratic he combated, with his relativism, the caste privileges; as a upholder of sincerity and transparency, he claims the right to opacity, as the unique condition for freedom. Hence his «inactual» position, wich has been inherited by three major intellectuals of Twentieth century: Paul Valéry, Roger Caillois, Jean Starobinski. As the liminal space of preface guarantees Montesquieu a certain freedom of expression, it is through some occasional interventions – prefatory discourse, or conference – that the three intellectuals intervene about Montesquieu’s inactuality, thus legitimizing, against  the spirit of the times, their own position.


Parole chiave
Keywords

1. L’histoire à l’épreuve de la mémoire: une phrase de Flaubert dans Montesquieu

Dans Sodome et Gomorrhe Proust fait état de l’une de ses célèbres «reminiscences anticipées»1: «il y a […] une phrase de Flaubert dans Montesquieu»2. Cette inversion de l’ordre du temps lui apparaissait vraisemblablement comme une nécessaire entorse à la logique progressive au nom de la rhétorique profonde du souvenir. Le même Proust nous rappelle, dans sa «défense» de Flaubert, que ce dernier «était ravi quand il retrouvait dans les écrivains du passé une anticipation de Flaubert, dans Montesquieu par exemple: ‘Les vices d’Alexandre étaient extrêmes comme ses vertus; il était terrible dans la colère; elle le rendait cruel’»3. Nul doute que la phrase asyndétique de Montesquieu, consistant en une série d’énoncés courts juxtaposés, était l’un des procédés favoris de l’auteur de L’Éducation sentimentale 4. Cependant, si Flaubert faisait, poursuit Proust, «ses délices de telles phrases, ce n’était évidemment pas à cause de leur correction». Dans un tel parallélisme stylistique, garantie formelle d’un ordre temporel abstrait et maîtrisé par l’imperturbable loi de la symétrie, le sujet s’insinue en tant qu’instance perturbatrice. Faisant «jaillir du cœur d’une proposition l’arceau qui ne retombera qu’en plein milieu de la proposition suivante»5 Flaubert introduit, dans l’automatisme du système, l’accidentel, l’achoppement. Par l’hyperbate («marcher outre», «enjamber») l’énoncé dessine, dans son allure épanodique, une spirale imaginaire où l’avancement compose avec la régression. Dans son point du monde, entre Montesquieu et Flaubert, Hegel avait bien vu en effet que si la déconstrution de tout objet opère, selon le mot de Derrida, «dans l’immanence du système à détruire», elle suppose en tant que telle «une phase indispensable de renversement»6.

 

2. Pour une herméneutique du sujet: la sincérité

C’est à Montesquieu qu’il revient d’avoir fondé ce qu’on peut appeler, avec Michel Foucault, l’«herméneutique du sujet»7. Et ce, semble-t-il, par un même accident qui, survenu à contretemps, questionne l’ancien équilibre d’une phrase bien portante. Cet accident, évoqué à titre d’encadrement programmatique dans la préface aux Lettres persanes (1721), est l’effet d’un certain regard porté sur l’objet: «je connais une femme qui marche assez bien, mais qui boîte dès qu’on la regarde»8.

Un tel aperçu existentiel avant la lettre sur la précarité de la condition humaine ne va pas sans la prise de conscience d’un accident historique: c’est le moment où, l’aristocratie à laquelle le baron de La Brède appartient s’acheminant vers sa décadence, un repositionnement du regard sur les choses s’avère nécessaire. Du fait qu’ils «se regardent de trop près pour se voir tels qu’ils sont», se cachant l’un à l’autre la vérité sur eux-mêmes, les hommes sont désormais à ses yeux «des témoins infidèles et des juges corrompus»9.

C’est le renversement polémique du code aristocratique fondé sur l’affectation qui fait l’objet de l’Éloge de la sincérité (1817) de Montesquieu10. Cet éloge, qu’on pourrait qualifier de paradoxal par rapport à l’axiologie dominante, est destiné à ouvrir une vaste brèche dans l’histoire moderne. C’est en effet de ce point du monde, et bien avant Rousseau, qu’est déclenché «l’arceau» destiné à retomber dans l’autre versant de l’histoire, inaugurant ainsi notre modernité: la notion politique de parrêsia telle qu’elle va être illustrée par Michel Foucault dans Le Courage de la vérité lui est en large partie redevable. Elle se trouve, par ailleurs, au cœur de la seconde partie du cours que Foucault a donné au Collège de France en 1984, dont le titre général est, significativement, un écho plus ou moins direct à l’auteur de L’Esprit des lois: Le Gouvernement de soi et des autres 11.

C’est, déjà, à une «préface auctoriale» (si l’on s’en tient à la définition de Genette)12 que Montesquieu consigne son autoportrait dans l’Éloge; et ce, justement, au nom de la «sincérité» qu’il revendique autant pour lui-même que pour ses semblables. Dans un espace éminemment performatif tel que la préface où le locuteur exerce, pour le dire avec le même Foucault, le privilège de l’énonciation13, cette prise de parole de la part du baron n’est point anodine: elle nous montre, par l’exemple du sujet écrivant, que la sincérité n’est pas seulement l’objet thématique d’une harangue. On peut en effet interpréter cette prise de parole comme une entorse faite à la tradition littéraire dans la mesure où on est convenu d’assigner à la préface allographe14 – instance paternaliste souvent représentée par l’éditeur vrai ou fictif15 – la fonction présentative, et nommément viatique, de l’œuvre. Un tel choix, irrévérencieux en apparence, de «mise à nu» du sujet énonciateur dans l’espace liminaire d’un éloge où, justement, la sincérité est l’objet thématique, ne fait pas exception chez Montesquieu. Il est suivi, quelques années plus tard, de la préface auctoriale des Lettres persanes. Sauf que ce bref discours liminaire recommande cette fois, derrière l’image-écran de la femme qui boîte évoquée plus haut, l’anonymat de l’auteur au nom de l’œuvre. Maintenant, l’opacité du sujet énonciateur est vue comme la condition même de la sincérité alors qu’il s’agit de questionner un système politique qui périclite. Les deux préfaces, où le sujet écrivant est tantôt assumé, tantôt esquivé, nous apparaissent finalement comme complémentaires: dans l’espace intersticiel entre le roman et le monde qu’est l’avant-dire16, l’auteur assume maintenant (et peut-être pour la première fois, du moins avec une telle efficacité), un statut à double face, à mi-chemin entre l’homme privé et l’homme public. Ainsi la préface, réputée par l’auteur des Lettres persanes «ennuyeuse par elle-même»17 en raison de sa fonction éminemment didactique, devient l’espace rhétorique idéal où peut avoir lieu un questionnement du sujet en tant qu’être double. Un troisième niveau de compléxité de la préface autographe est représenté par l’avant-dire de l’Esprit des Lois (1748), où Montesquieu rabat sur la fonction d’écran qu’il attribue à cet espace rhétorique. Dans un ouvrage cette fois ouvertement politique, l’opacisation du sujet scripteur assure a fortiori l’exercice autonome et impartial de l’analyse: «Si l’on veut chercher le dessein de l’auteur, on ne le peut bien découvrir que dans le dessein de l’ouvrage»18. C’est donc une fois de plus au nom de l’œuvre, et précisément au nom de l’autonomie de celle-ci par rapport à l’instance d’énonciation, que l’auteur revendique sa «clandestinité».

Tenant des deux nécessités à la fois (la sincérité du sujet privé revendiquée dans l’Éloge; l’autonomie du sujet public révendiquée dans L’Esprit des lois), les Lettres persanes sont, à l’égal de la préface qui les représente par synecdoque, un texte de frontière. Si la préface des Lettres persanes, que Starobinski qualifie d’ «anti-préface»19 est, selon Genette, un exemple illustre de «préface dénégative», «où l’auteur (pour lors anonyme) […] prétend n’être pas celui du texte»20, il ne s’agit pas là, à notre avis, de simplement se défaire de la posture frontale qui tiendrait lieu, en quelque sorte, d’autentification du sujet, voire d’aller outre dans la dénégation; et ce, au nom de l’autonomie radicale que le sujet revendique par rapport au système qui en légitime l’allocution. C’est ce que nous révèlent les deux «assomptions esquivées»21 de la dédicace que nous retrouvons, dans leur forme presque identique, au tout début des Lettres persanes («Je ne fais point ici d’épître dédicatoire, et je ne demande point de protection pour ce livre»)22 et dans les Pensées («Je ne ferai pas d’épître dédicatoire: ceux qui font profession de dire la vérité ne doivent point espérer de protection sur la terre»)23 où, dans l’espace de l’affirmation, le sujet demande d’être enfin exempté de toute protection.

Bref, l’attitude dépréciative du paratexte en tant que légitimation extérieure, conventionnelle, de la parole du sujet, peut être considérée comme la métaphore générale de la pensée de Montesquieu: le fait de se retirer en tant que sujet de la scène publique de l’écriture signifie renier une évidence dont on préjuge: l’homme. Car le préjugé le plus détestable n’est pas, comme Montesquieu le voit dans la préface de l’Esprit des lois, dans le fait d’ignorer «certaines choses», voire dans le fait – on vient de le constater – «qu’on s’ignore soi-même»24. Ainsi, si l’on admet que la Loi est l’image rassurante du Père, comme le dirait la psychanalyse, l’Esprit des Lois est le couronnement de ce déni, anticipant ainsi la Révolution: «je sentais tous les jours les mains paternelles tomber»25, comme Montesquieu l’écrit, en citant Virgile, dans la préface de ce livre capital. Nous en sommes donc, avec Derrida, à la mort officielle du «discours d’assistance»26 dont les conséquences ne se limitent pas, on le comprend, au seul espace préfaciel. Mais, pour rester dans les limites de ce dernier, il faudra se demander quel va être, après la mort de Montesquieu, le rôle du préfacier posthume.


3. Nouveau statut de la préface

Par rapport à la préface autographe et à la préface allographe anthume (écrite donc du vivant de l’auteur) la préface allographe posthume27 offre sûrement une perspective plus dégagée sur l’objet. Ce dégagement est, évidemment, graduel: l’objet, s’éloignant progressivement du point d’observation du préfacier et, par cela, de son monde, devient de moins en moins encombrant. Juste quelques mois après la mort de Montesquieu survenue en 1755, deux éloges venant de deux illustres contemporains28, d’Alembert et Maupertuis, sont pour le moins tributaires de la biographie apologétique que le fils de Montesquieu avait consacré à son père29. Et pourtant, ce n’est que l’éloge de d’Alembert qui va jouer le rôle officiel de préface aux œuvres de Montesquieu au XVIIIe siècle30. La raison est dans la perspective adoptée, qui répond aussi bien aux attentes du philosophe, qu’à celles du siècle qu’il représente. Et voici donc Montesquieu élu en «Père» officiel des philosophes, peint en intellectuel progressiste en vertu de sa verve polémique et militante. Quelques années plus tard, le rôle que l’auteur de l’Émile confère à la préface autographe31 atteste que la topique paradoxale de la sincérité est désormais une idée conquérante: ce sera bientôt l’idéal pragmatique de la bourgeoisie montante. Ainsi, il n’y aura plus, au XIXe siècle, que l’auteur lui-même qui se voie autorisé à parler de son œuvre32: autoconsécration de la part de ce dernier, qui destitue définitivement l’acte préfaciel de sa fonction présentative. Le même Hegel ne voit plus dans la préface, comme Derrida le rappelle, qu’un encadrement parasite de l’œuvre, et, par surcroît, une limitation à la liberté herméneutique du lecteur33. D’ailleurs, selon le philosophe allemand, le savoir n’admet pas, dans son mouvement dialectique incessant, de «hors texte»34, autrement dit d’extériorité qui ne se doive d’être réintégrée dans le système général du sens. Ainsi, la préface s’achemine vers son nouveau statut, qui est d’instituer et d’entretenir un dialogue intersubjectif, autrement dit intertextuel, pouvant mettre en contact deux perspectives à deux différents points du monde.

 

4. De l’idéologie au dialogue

Si c’est devenu un postulat, note Bénichou, «qu’une ère absolument nouvelle commence avec les Lettres persanes», ce n’est qu’après la Révolution de 1789 qu’on tient à séparer et dresser idéologiquement, l’un contre l’autre, le XVIIe et le XVIIIe siècle35. L’esprit du XIXe siècle, encore empêtré dans les miasmes idéologiques de la Révolution, tend à simplifier polémiquement le positionnement respectif de ces deux siècles dans l’histoire générale en vue d’opposer des orthodoxies conquérantes, basées sur la polémique philosophique et le présentisme, à des pensées rétrogrades, fondées plutôt sur le prestige de l’érudition et du modèle des Anciens36. S’il est certain que Montesquieu tient des deux, et de leur équilibre – il est philosophe et philologue tout à la fois – chacun des deux côtés peut toujours être pris séparément et assumé à titre prétextuel en vue de soutenir une thèse donnée. C’est le cas du Dialogue aux enfersentre Machiavel et Montesquieu de Maurice Joly37 où on attribue, dans le cadre d’une idéologie progressiste polémiquement revendiquée, le cynisme de l’état de fait au premier et la justice de l’état de droit au second. Ainsi, comme Carlo Ginzburg le voit bien à ce sujet, «Montesquieu est l’homme du passé; Machiavel, l’homme du présent, et, peut-être, de l’avenir»38. Comme le dit efficacement Paul Bénichou dans ses «Réflexions sur l’humanisme classique», «d’anciennes valeurs, […] usées par le temps ou l’échec, peuvent produire, après une longue éclipse, un héritage inattendu, se ranimer et grandir dans des conditions plus propices»39.

 

5. Modernité de la préface

Lorsque l’intellectuel du XXe siècle, enfin affranchi de la charge du «discours d’assistance», peut finalement regarder l’Autre dans son autonomie de représentation, le paratexte préfaciel s’autonomise par rapport au texte dont il dépend, prenant souvent la forme de l’essai, éventuellement détachable du contexte dans lequel il a mûri. Ce qu’on appelait avec Derrida un «hors-texte» n’est plus qu’un «métatexte»40 selon Genette, dans la mesure où il n’a plus aucune relation de dépendance par rapport au texte qu’il est censé présenter. Dans son autonomie contextuelle l’essai pourra fonctionner, autrement dit, en dehors de sa situation d’écriture.

Parmi les préfaciers «tardifs»41 comptent, selon Genette, des écrivains attitrés qui, à une certaine époque dite «moderne», à savoir «actuelle», proposent une préface pour la réédition d’un «classique». La liberté herméneutique dont ces préfaciers jouissent par rapport à l’objet est due d’abord, semble-t-il, à leur affranchissement rhétorique du «pourquoi» de la préface; c’est désormais, comme le même Genette le voit, le «comment» qui compte42. Ce mouvement de va-et-vient tout au long de la ligne imaginaire du temps ne s’arrête en effet que sur ce qui peut relier les deux «actualités» en question: c’est, là, le côté durable ou, si on veut, la portée «classique» des idées. Dans ce cadre, la notion de «classique» n’est plus une notion statique, fondée sur le privilège de celui qui écrit, voire une notion dynamique, mouvante: elle permettra désormais de considérer comme «classique» non plus ce qui est canonique, voire ce qui ne cesse jamais d’être relu et qui, on l’a vu à propos d’Hegel, réactualise à chaque moment ce qui était en principe donné comme périmé: toute extériorité va être ainsi réadmise et réintégrée dans le système général du sens. Cette «modernité» vivace et impérissable dans la mesure où elle résiste à l’action du temps est ce qu’on pourrait qualifier, avec Nietzsche, d’ «inactuelle», ou, d’ «intempestive»: il s’agit, justement, de penser et d’agir, selon le mot du philosophe, «d’une façon inactuelle, en faveur d’un temps à venir»43. C’est de Nietzsche que se réclament, comme on sait, Deleuze et Foucault pour affirmer la nécessité d’une résistance des idées face à la contingence de leur application. Si la philosophie, selon Deleuze, se doit justement d’être intempestive, «toujours et seulement intempestive»44, est «inactuel» ou «intempestif», aux yeux de Foucault, ce qui résiste à tout discours polémique, apologétique, idéologique; bref, prétextuel45. De même, l’autonomisation récente de la préface par rapport au texte répond, nous semble-t-il, à la fonction moderne que lui attribue Derrida: en se situant entre la vie et le concept, entre l’identité et l’altérité, entre la pensée et le temps46, cette forme d’écriture, à la fois appropriative et expropriative, actualise le passé et «rend présent l’avenir»47.

 

6. Montesquieu moderne ou antimoderne?

La position d’énonciation dont jouit l’intellectuel du XXe siècle, pouvant se pencher sur son objet sine ira et studio, lui permet enfin de faire composer les deux versants polémiques de l’histoire: d’un côté, comme le dit Bénichou, l’idéologie, reconnue comme rétrograde, de l’ «ordre» et de la «discipline» ; de l’autre, l’idéologie progressiste, fondée sur la «subversion» et l’ «utopie»48. La composition de ces deux axiologies permet à l’homme moderne de refonder une «éthique humaniste»49 dans laquelle Montesquieu trouverait enfin sa place. C’est bien à partir de cette perspective que certains paradoxes historiques deviennent appréciables. C’est, par exemple, «une ironie de l’histoire», note le même Bénichou de son point de vue historique,

que le modernisme de Montesquieu, tel qu’il est illustré par la démocratie américaine, soit le résultat d’une apologie de la liberté féodale des princes: en ce point, l’antimoderne et le moderne semblent difficiles à distinguer50.

On comprend mieux aujourd’hui, note plus tard Antoine Compagnon en se référant dans Les antimodernes à ce passage, la filiation à l’apparence curieuse «entre les thèmes politiques de la noblesse mal soumise et ceux des partis libéraux du siècle dernier et du notre»51; on comprend, précisément, que c’était l’aristocratie qui détenait le luxe de la pensée libre. Et que ce privilège fut à l’origine du «prélibéralisme aristocratique»52 d’un Montesquieu méprisé, plus tard, par le libéralisme utilitariste de la bourgeoisie. Si le libéralisme ne fut, aux yeux de Compagnon, qu’«une invention d’aristocrates» réagissant contre le despotisme monarchique53, il n’en demeure pas moins qu’à partir de cette rivalité entre les partisans de l’absolutisme et les tenants du libéralisme aristocratique l’usage s’affirme «de comparer subtilement les divers régimes politiques». Et voici donc que prend tout son sens L’Esprit des Lois de Montesquieu, dont le but est de «dégager l’idée de ce milieu parfait que constitue, entre l’État populaire et l’État despotique, la monarchie tempérée à l’ancienne mode»54.

 

7. Trois intellectuels devant Montesquieu

C’est bien de cette composition de valeurs – la seule permettant au critique de se situer de manière permanente dans l’espace de la controverse sans tomber dans le piège de la partisannerie – que se réclament trois intellectuels du XXe siècle lorsqu’ils prennent la parole sur Montesquieu: Paul Valéry, Roger Caillois, Jean Starobinski55. Pour ces trois hommes vaut mutatis mutandis, comme nous le verrons, le principe hégelien qu’on vient d’énoncer : on ne peut nier quoi que ce soit si ce n’est dans «l’immanence du système à détruire»: autrement dit dans l’espace même de son affirmation. Les trois intellectuels ont, d’ailleurs, quelques traits en commun: d’abord le fait d’avoir été taxés, dans leur point du monde, d’ «antimodernes» en raison de leur refus de prendre position dans quelques polémiques.

Dans sa préface aux Lettres persanes de 192656, que l’on peut qualifier avec Genette de véritable «essai critique»57, Valéry ne fait pas mystère d’avoir «l’histoire en suspicion», à cause des biais idéologiques dont elle est porteuse. En revanche, il considère «le milieu du XVIIIe siècle comme l’époque de [s]on choix», en raison de l’équilibre que l’Occident a atteint entre l’identité et l’altérité; entre un système moral58 encore autorisé par l’ancien régime, et l’exigence diffuse d’un affranchissement de celui-ci. De cette période, où ce qu’il aime se trouve, comme il l’écrit dans une lettre, représenté «au plus haut degré»59 et ce qu’il abhorre au plus bas, Montesquieu constitue l’emblème. Un chapeau prétendument illustratif dans sa préface revendique, chez Valéry, l’état prétextuel de son intervention. Tout en réclamant, selon la topique classique, l’aimable concession qu’on voudra faire à un esprit éclectique comme le sien en lui accordant la liberté de la «digression», il associe cette liberté à un voyage de l’esprit qui est l’apanage résiduel d’une aristocratie intellectuelle:

Il est peut-être permis à des réflexions qui ont eu Montesquieu comme prétexte, qu’elles s’étendent un peu loin, et recherchent le fond de sa fantaisie. Je vais divaguer sérieusement60.

Le paradoxe sur lequel se fonde la digression de Valéry autour de Montesquieu est, nous semble-t-il, le suivant: «comme la barbarie est l’ère du fait, il est […] nécessaire que l’ère de l’ordre soit l’empire des fictions»61. L’état de fait coïncidant avec l’état de nature l’ordre, en tant qu’état de droit, serait établi par l’avènement de quelques «forces fictives»62: à savoir, par la présence d’«obstacles imaginaires» dont les conséquences ne sont pas moins réelles. Ce n’est que la force de l’habitude qui finit par nous faire apparaître ces obstacles, nécessaires à la civilisation, comme tout à fait naturels: c’est à ce moment, en effet, que «l’oubli des conditions et des prémisses de l’ordre social est accompli»63 et que l’effort civilisateur des hommes finit par ressembler en tout à la nature. La liberté de l’esprit perçue comme un fait de nature comporte selon Valéry, et bien avant Adorno et Horkheimer qui vraisemblablement s’en réclament64, le risque d’un retour à la barbarie des origines: barbarie «de nouvelle espèce», écrit Valéry, qui est l’ère du fait scientifique. Il faudra alors que d’autres obstacles imaginaires s’imposent à l’esprit pour qu’un nouvel ordre soit rétabli. Entre le désordre et l’ordre qui alternent dans l’histoire, il existe des moments où ces deux instances se trouvant confondues, l’individu est « le plus libre et le plus aidé»65. À mi-chemin entre le plaisir et le devoir, entre les sciences et les arts, les contraintes sociales se détendent et les institutions ne pèsent plus sur l’individu avec leur autorité et leur loi, mais continuent d’exister par leur «assistance» discrète et un peu distraite pendant que la dissipation heureuse des choses et des idées a lieu et que l’état de droit, tout doucement, s’épuise: c’est l’époque de Louis XV où, l’acmé de l’Ancien Régime sous Louis XIV se trouvant dépassé, l’Europe était «le meilleur des mondes possibles»66. De la période la plus heureuse de l’histoire d’Occident Montesquieu serait, selon Valéry, l’emblème, car il a contribué à délivrer les hommes de leur joug tout en favorisant, par le modèle de sa libre pensée, la chute de cette même monarchie que pourtant il défendait:

Si les Parques eussent donné à quelque homme libre de choisir entre tous les siècles connus celui de ses préférences, pour y faire son temps de vie, je m’assure que cet heureux homme eut nommé le temps même de Montesquieu.

Puisque le ver est toujours dans la pomme, l’homme libre de Montesquieu commence à se regarder à travers le miroir d’autres hommes, et ne peut pas le supporter67: d’où la question que celui-ci va se poser par l’entremise de l’un des protagonistes des Lettres persanes. Le célèbre mot de circonstance que lâche Rica dans la lettre 30: «Comment peut-on être persan?»68 cache, selon Valéry, un interrogatif ontologique: «Comment peut-on être ce que l’on est69. Cette question cruciale marque un tournant dans l’histoire:

Entrer chez les gens pour déconcerter leurs idées, leur faire la surprise d’être surpris de ce qu’ils font, de ce qu’ils pensent, et qu’ils n’ont jamais conçu différent, c’est […] donner à ressentir toute la relativité d’une civilisation...c’est aussi prophétiser le retour à quelque désordre; et même faire un peu plus que de le prédire70.

 Les Lettres persanes, dont la préface autographe annonce, avec l’autodétermination du sujet, la conscience même de son dédoublement («je connais une femme qui marche assez bien, mais qui boîte dès qu’on la regarde» ) – sont finalement, aux yeux de Valéry, un «livre parfait»: on y trouve un équilibre de forces à même de déterminer, par le «développement de la facilité»71 qu’il encourage, le «retour» à l’état de fait, autrement dit à ce libéralisme anarchique des origines qui, ayant été d’abord l’apanage exclusif de quelques nobles, aspire maintenant à un plus vaste partage. Montesquieu lui-même avait d’ailleurs pressenti, ajoutons-nous à l’écoute de Valéry, cette nécessité: au nom de la «sincérité» dont il avait tissé, tout jeune, l’éloge, il se propose maintenant de mettre les vices (inconnus en tant que tels) «dans le point de vue pour les faire voir»72. Dans le but d’affranchir l’homme de «l’esclavage du déguisement» il prépare, avant Rousseau, «l’âge d’or et le siècle de l’innocence»73 où il n’y a plus de différence «entre connaître le monde et le tromper»74.

C’est dans l’après-guerre, en 1949, que Caillois rédige la préface à son édition des Œuvres complètes de Montesquieu pour la Bibliothèque de la Pléiade. En mettant l’accent sur l’unité foncière de l’œuvre du baron de La Brède il voit dans cette unité, au même titre que Valéry, un fondement supra-historique qui, au delà des circonstances d’écriture, «reste partout l[e] même»75. Cette idée paradoxale, chère aux critiques ‘inactuels’, n’est pas moins porteuse de conséquences: si Montesquieu, qui «n’a cessé de réflechir sur l’histoire», semble s’être refusé «à y introduire la notion de progrès», «l’influence de son œuvre donne sur ce point une sorte de démenti à son œuvre même»: ses écrits ont constitué, sans le prétendre, «une amélioration sensible du sort de l’homme»76. Progressiste en vertu du questionnement du progrès dont elle est porteuse, l’œuvre de Montesquieu souffrirait selon Caillois des conséquences mêmes de la liberté de l’esprit qu’elle avait encouragée: elle a contribué en effet, bon gré mal gré, à «naturaliser», aux yeux des modernes, ce nouvel état de choses. Saisissant derrière les faits contingents un « esprit » supra-historique à même de les justifier, le baron aurait «institué des habitudes d’esprit». Et ces habitudes sont devenues «si ordinaires qu’elles semblent aller de soi» : «leur vulgarité présente», conclut-il, «empêche de mesurer ce qu’il fallut de génie pour les inventer»77. Une fois de plus c’est à l’avènement de l’ère du fait scientifique que cette vulgarité est attribuée. Finalement, aux yeux de Caillois, Montesquieu instituerait au sein de la société, par les effets mêmes de sa «révolution sociologique», un mouvement de la pensée qui, tout en témoignant d’un degré de civilisation exceptionnel, s’avère «peut-être périlleux». Dans une culture qui «n’est pas faite pour se réfléchir» et est «d’autant plus vigoureuse qu’elle dispose de moins de miroirs»78, les conséquences des idées du baron sont déroutantes: dotant tous les sujets de «l’intelligence à se surprendre», Montesquieu insinue dans cette cohésion un potentiel de désolidarisation qui fait tendre la société vers le désordre et l’épuisement: dès qu’on nomme on affaiblit, et le sens se «consume» bientôt79. Et pourtant voici l’autre versant du paradoxe, son renversement: comme les lois nous «paraissent absurdes»80 dès qu’elles sont détachées de leur contexte, ainsi dans l’ «esprit des lois» de Montesquieu subsiste «une spéculation qui survit étrangement à la science»81. Une «force fictive», pour reprendre le mot de Valéry, qui se trouverait à même de contrebalancer les effets d’une tel aplatissement. D’où la nécessité – et nous voyons là combien Caillois est proche de Valéry – de marquer à chaque moment une prise de distance par rapport à l’actualité. Il s’agit, pour l’auteur de Les jeux et les hommes 82 de «se feindre étranger à la société où l’on vit» et de la regarder «du dehors et comme si on la voyait pour la première fois»: d’adopter, en d’autres termes, ce qu’on appellerait aujourd’hui le «regard ethnologique»83. Dirigé vers nous-mêmes au lieu de se déployer à l’extérieur, ce regard nous empêche de «trouver naturels les usages et les lois»; d’oser

considérer comme extraordinaires et difficiles à entendre ces institutions, ces habitudes, ces mœurs, auxquelles on est si bien accoutumé dès sa naissance et qu’on respecte si fort et si spontanément qu’on n’imagine pas la plupart du temps qu’elles pourraient être autrement.

Finalement, la révolution sociologique de Montesquieu ne consisterait pas tant, aux yeux de Caillois, dans le fait d’aller s’enquérir des civilisations lointaines en restant maîtres de notre regard, que «de mettre ce regard à l’épreuve de la nôtre»84. De même, il ne s’agirait point d’adhérer au discours «actuel» de la science, voire de conserver une «puissante imagination» et «beaucoup de ténacité» qui nous permettront une perspective à vol d’oiseau sur les choses, à l’abri de toute polémique. Une telle impartialité et équanimité sont à même de nous faire percevoir d’un clin d’œil nos propres raisons et les raisons de l’autre, les choses passées et les choses à venir, la prévision et la tradition; et d’apercevoir ainsi qu’un même phénomène peut être à la fois «un facteur de paix et un motif de guerre»; qu’il peut, tour à tour, «corrompre les mœurs» ou en «adoucir la brutalité»85. Le regard de Montesquieu sur des phénomènes qui se reproposent sans cesse sur l’échiquier de l’histoire, et qui vont toujours «composant leurs effets» constitue finalement, aux yeux du sociologue Caillois, «un milieu d’une densité exceptionnelle». Mi-lieu où réside, dans un rapport de forces toujours entretenu86, «l’inertie essentielle des sociétés»87.

Vingt ans plus tard, Starobinski ne remarque pas moins que les deux versants opposés de la pensée de Montesquieu composent dans une «actualité» paradoxale:

l’idée de l’uniformité des lois de la nature aboutit d’une part à un éternalisme de la règle de justice, et d’autre part à un relativisme sociologique, dans la mesure où les causes morales sont tributaires des causes physiques. C’est cette contradiction ou cette tension que l’on peut dire toujours actuelle88.

 C’est le sujet d’une conférence dont le titre nietzschéen lui avait été soufflé en pleine période existentialiste par Jean Wahl89, «Inactualités de Montesquieu»90, qui inspire à Starobinski la matière de son essai intitulé Montesquieu par lui-même 91. Le critique génévois ne fait pas mystère, à ce propos, de sa redevance aux deux critiques qui l’ont précédé: à Paul Valéry et «dans une certaine mesure à Roger Caillois»92. Et pourtant, l’auteur de Jean-Jacques Rousseau: La transparence et l’obstacle 93 insiste sur un aspect nouveau par rapport à ses prédécesseurs, qui est la transparence du sujet Montesquieu à lui-même. L’essai sur Montesquieu, rédigé par Starobinski, selon son propre témoignage94, pendant qu’il travaillait à son projet sur la sincérité en littérature95, reprend à dessein une tradition classique: le «portrait critique». Prenant l’attitude modeste du «discours d’assistance», le critique ne prétend rien ajouter à ce que l’auteur dit par lui-même. Sauf que dans ce titre à l’apparence anodin, tout change si on veut bien le prendre au pied de la lettre. Il s’agit en effet pour Starobinski de promener tout au long de son essai le célèbre miroir inventé par Montesquieu lui-même (et adopté plus tard par Stendhal)96 et de questionner, par l’écran qui lui est offert, le statut conventionnel du portrait en question; portrait figé, en effet, dans l’éternité, comme un ancien médaillon:

La postérité le voit de profil souriant de tous les plis de sa toge et de son visage, d’un sourire ciselé dans le minéral. Les irrégularités de la physionomie ne sont plus aperçues ou ne comptent plus.

Si la vivacité, l’accidentel, ont disparu du visage du baron la faute est, comme Starobinski le suppose lançant ainsi une provocation à ses lecteurs, à Montesquieu en personne: le philosophe, «en poussant les choses à la limite [de leur possibilité] s’efface lui-même»97. Grâce au progrès qu’il a appelé de ses vœux, l’opacité a laissé la place à la transparence, voire à l’évidence: tout ce qu’il a encouragé «nous est si familier que nous y faisons à peine attention. Cela va de soi, comme l’air que nous respirons»98. Starobinski rejoint ainsi, comme on le voit, ses prédécesseurs, Valéry et Caillois. De ce regard trop rapproché sur les choses qui est le nôtre rendrait compte au XVIIIe siècle, selon Starobinski, Usbek, l’un des deux protagonistes des Lettres persanes. Ce persan débarqué à Paris dont la tâche est de porter à la connaissance des occidentaux, par son regard déplacé sur les choses, les vices qu’ils ignorent, finit par énoncer un principe général: «les hommes deviennent injustes sitôt qu’ils préfèrent leur propre satisfaction à celle des autres»99. Sauf que, en même temps, Usbek s’avère «incapable d’apercevoir sa propre injustice»100.

Comme Starobinski l’avoue dans le même entretien, la prérogative de l’auteur des Lettres persanes est en tout opposée à celle de Rousseau: alors que ce dernier construit son personnage pour la postérité, le vœu de Montesquieu est de «construire et s’effacer»101. Finalement, son «présent» paradoxal est de demeurer à jamais dans cette transparence sans obstacles102 des idées qui est aussi la nôtre. En classique de tous les temps, Montesquieu se retire, pudique, dans le fond de la scène, «en sorte que triomphe insensiblement», écrit le critique de Genève, «une raison qui résulte de la perception des rapports»; autrement dit, un équilibre stable entre des valeurs négociées. Néanmoins, comme Montesquieu a voulu montrer qu’«il est inévitable de se situer à un point de vue particulier», et que «ce n’est que dans le relatif, à partir du relatif, que nous pouvons partir en quête de ce qui dépasse le relatif»103, son enseignement nous permettra de percevoir, au lieu de son portrait figé, la vie toujours mouvante de sa pensée. Alors que la raison dogmatique triomphe «par le jeu des oppositions insoutenables»104, on doit à Montesquieu la coexistence salvifique, dans la modernité, du dogme et de l’anti-dogme. L’histoire nous enseigne par exemple, selon Starobinski, ce que Montesquieu avait bien vu dans son point du monde: que «le désordre et la violence […] suivent nécessairement l’émancipation de l’appétit individuel»105. Dans le jeu des révolutions et des restaurations, «flux et reflux d’empire et de soumission» (comme il est dit dans la lettre IX des Lettres persanes)106 il faudrait rechercher, suivant le chemin que nous indique Montesquieu, le pur principe de relation, «lieu pivotal du renversement»107. C’est, on l’a vu, dans ce non-lieu qui est aussi mi-lieu, que les positions respectives, les idéologies, les conflits, entrent en composition en quête d’une conciliation.

 

8. Survivance et résilience de Montesquieu

Est, finalement, «inactuel», chez ces trois intellectuels qui se réclament de Montesquieu, ce qui «résiste». Ce qui, se situant à l’écart de la scène polémique où s’affrontent deux positions, ne laisse pas ses énérgies intellectuelles se consumer dans la défense d’un parti pris idéologique, alors que plusieurs possibilités sont données. Est «inactuel» le regard à la fois cynique et naïf que Montesquieu porte sur le monde, regard «cynique par candeur»108 selon Caillois, qui est l’apanage des esprits rêveurs pouvant jouir, qu’ils appartiennent ou non à la noblesse, du luxe et de la distance que nécessite la pensée par rapport aux événements.

Montesquieu semble finalement représenter pour ces trois hommes le «lieu pivotal» de notre modernité, si l’on s’en tient au paradoxe de Compagnon: «Les véritables antimodernes sont aussi, en même temps, des modernes, encore et toujours des modernes, ou des modèrnes malgré eux […] les mêmes vus sous un autre angle»109. C’est ainsi, renchérit Compagnon, que nous «tendons à voir les antimodernes comme plus modernes que les modernes»110. La résistance au temps présent n’est donc pas, comme il le paraît parfois, une régression, voire un dépassement des limites mêmes que l’actualité nous impose. Qualifiant Valéry d’«intellectuel acrobate»111, Theodor Adorno lui reconnaissait un position critique privilégiée: une perspective à vol d’oiseau pouvant saisir d’un seul clin d’œil le «plan incliné» de l’histoire. Cette capacité d’observation peut s’étendre à nos yeux tout aussi bien à l’auteur de Les jeux et les hommes 112, qu’à celui du Portrait de l’artiste en saltimbanque 113.

La théorie de la séparation des pouvoirs à laquelle Montesquieu doit sa célébrité114 n’est que l’effet d’un certain regard porté sur les choses, les considérant chacune dans son autonomie fonctionnelle et dans sa possibilité relationnelle. Par contre, «Il y a aujourd’hui – note Starobinski – des pouvoirs qui ne semblent être arrêtés par aucun contre-pouvoir». C’est donc à nouveau le cas de revenir «à l’une des idées auxquelles Montesquieu était attaché»115.


9. «Je sens que ma raison s’égare»

Si, aux yeux de Francesco Orlando les Lumières ont tenu autant que trahi toutes leurs promesses116, c’est grâce au compromis toujours entretenu, dès les Lettres persanes de Montesquieu, entre le faux et le vrai117, entre la raison et le tort; bref, entre le progrès et son revers. «Je sens que ma raison m’égare», s’exclame Usbek dans la lettre XVII face au mollak:

ramène-la dans le droit chemin. Viens m’éclairer, source de lumière […] fais-moi pitié de moi-même et rougir de la question que je vais te faire118.

Et voici, à la lettre XVIII, la réponse du «serviteur des prophètes» qui, loin d’être dogmatique comme on pourrait s’y attendre, annonce un relativisme encore paradoxal:

Quand donc vous n’apercevez pas la raison de l’impureté de certaines choses, c’est que vous en ignorez beaucoup d’autres […]. Vous ne savez pas l’histoire de l’éternité, […] ce qui vous a été révelé n’est qu’une petite partie de la bibliothèque divine119.

Ce n’est, semble-t-il, que le défaut de réalisation qui peut à tout moment nous apporter un peu de conscience sur ce qui est. Et ce n’est peut-être pas un hasard si un mendiant ayant frappé à la porte du château des Montesquieu devint le parrain de baptême de Charles de Secondat: la conscience de la misère des hommes menaça, dès sa naissance, les privilèges d’un aristocrate120.

Note
  • 1

    Proust 1971, p. 311.

  • 2

    Proust 1988, p. 211. Cfr. Naturel 1999 et Bouillaguet 2000.

  • 3

    Proust 1920, p. 74.

  • 4

    Cfr. Flaubert 1980, p. 350 : «Je viens de relire Grandeur et décadence des R[omains], de Montesquieu. Joli langage! joli langage. Il y a par-ci par-là des phrases qui sont tendues comme des biceps d'athlète, et quelle profondeur critique!» Sur la célèbre phrase de Gustave Lanson, selon qui Flaubert est «un élève de Montesquieu qui prend des leçons de Chateaubriand», voir Principato 2000, p. 126.

  • 5

    Proust 1920, p. 74.

  • 6

    Derrida 1972, p. 12.

  • 7

    Cfr. Foucault 2001.

  • 8

    «Introduction». Montesquieu 1995, p. 37. Voir Genette 1987, pp. 46 et 188.

  • 9

    Montesquieu 1892, p.15.

  • 10

    Montesquieu 1892.

  • 11

    Cfr. Foucault, 1984.

  • 12

    Genette 1987, p.165, passim.

  • 13

    «Les discours religieux, judiciaires, thérapeutiques, et pour une part aussi politiques ne sont guère dissociables de cette mise en œuvre d’un rituel qui détermine pour les sujets parlants à la fois des propriétés singulières et des rôles convenus». Foucault 1971, p. 41.

  • 14

    Sur le statut de la préface, voir Derrida, 1972; Genette 1987; Mitterand, 1980. En ce qui concerne l’état de la préface à l’époque des Lumières, voir Galleron 2007; Zavisza 2013.

  • 15

    Voir Genette 1987, p. 189.

  • 16

    La préface en tant que discours liminaire «est en étroite relation avec le monde extérieur du livre». Nathalie Kremer, «Préfaces. État de la question: de la présentation à la représentation», in Galleron 2007, p. 11.

  • 17

    «Ce serait une chose très ennuyeuse, placée dans un lieu déjà très ennuyeux de lui-même: je veux dire une Préface». Montesquieu 1995a, p. 38. cfr. Genette 1987, pp. 233-234.

  • 18

    «Préface», Montesquieu 1995b, p. 81. Cfr. aussi Genette 1987, p. 46.

  • 19

    «Exil, satire, tyrannie: Les lettres persanes», in Starobinski 1989, p. 90.

  • 20

    Genette 1987, p. 188. Cfr. Ioana Galleron, «Introduction», in Galleron 2007, p. 3. À ce sujet, Jan Herman remarque que la majorité des préfaces est dénégative. Jan Herman, «La scénographie des préfaces», in Galleron 2007, p. 37.

  • 21

    À l’opposé de la préface dénégative se situe, selon Genette, la préface assomptive. Cf. Genette 1987, p. 188.

  • 22

    Montesquieu 1995a, p. 37.

  • 23

    Montesquieu 1899, p. 467. Cfr. Genette 1987, p. 124.

  • 24

    Montesquieu 1995b, p. 83. Voir Genette 1987, p 202.

  • 25

    Montesquieu 1995b, p. 84.

  • 26

    Derrida 1972, p. 73. Voir Genette 1987, p. 269.

  • 27

    Genette 1987, p. 178.

  • 28

    Laëtitia Perret, «Le succès paradoxal d’une préface militante: l’Éloge de Montesquieu par D’Alembert», in Galleron 2007, p. 69.

  • 29

    D’Alembert, «Éloge de M. le président de Montesquieu»; «Éloge de Montesquieu par M. de Maupertuis, lu le cinq juin 1755 devant l’Académie royale de sciences de Berlin», in Montesquieu 1875. L’éloge de D’Alembert avait été publié dans l’Encyclopédie, tome V. Cfr. L. Perret, in Galleron 2007, p. 25. Ces deux éloges «s’inspirent largement du Mémoire pour servir à l’histoire de M. de Montesquieu par M. de Secondat, son fils». Ibidem, p. 69. Cfr. Mémoire pour servir à l’histoire de M. de Montesquieu, par M. de Secondat, son fils, in Volpilhac-Auger 2003.

  • 30

    L. Perret, «Le succès paradoxal»…Ibidem, p. 69.

  • 31

    Voir à ce sujet Hébert 2011.

  • 32

    «À l’imprudence de Rousseau d’avoir écrit une œuvre audacieuse [L’Émile, évoqué dans les Confessions] sans avoir pris au moins quelques précautions face aux autorités, se joint son audace de l’avoir signée, passant outre à un code social. En publiant l’Émile, Rousseau choque certes de plusieurs manières les autorités, mais il froisse en même temps l’opinion publique, qui s’en prend moins à son œuvre qu’à sa personne. C’est dans ce refus de toute précaution que l’énonciation rousseauiste est mal-séante. Rousseau va à l’encontre d’un code de bienséance implicite, qui demande à l’auteur de laisser au lecteur le soin d’attribuer l’œuvre avant de la signer. Rousseau ne prend pas ces précautions, il signe, au rebours du code social qui exige de la réticence. Refusant de s’effacer devant l’œuvre, Rousseau parle de lui. Sa faute est d’avoir osé se montrer comme sujet écrivant, d’avoir dérogé à ce qu’on serait tenté d’appeler le «tabou de l’auctorialité». Jan Herman, «La scénographie des préfaces», in Galleron 2007, p. 39. Voir aussi le jeu entre l’affirmation et la négation de l’autorialité de la préface dans La Nouvelle Héloïse, ibidem, p. 55: «‘Tout honnête homme doit avouer les livres qu’il publie. Je me nomme donc à la tête de ce recueil, non pour me l’attribuer, mais pour en répondre’, déclare Rousseau dans la première préface de La Nouvelle Héloïse. Voilà le prototype de la préface assomptive, où l’auteur se nomme en s’avouant le père de l’œuvre. L’injonction de Rousseau montre bien que la préface assomptive est un lieu où se joue la dimension morale du métier d’écrivain: c’est le lieu d’un aveu, où l’auteur, en se nommant, s’accuse de l’œuvre. Reconnaissance à la fois nominative et accusative, si l’on veut». Cf. à ce sujet Genette 1987, pp. 189, 194.

  • 33

    Derrida 1972, p. 15

  • 34

    Ibidem, p. 9 sgg. Genette se réclame de Derrida (ibidem, p. 23), dans Seuils (Genette 1987, pp. 164 sgg: «L’instance préfacielle»).

  • 35

    Bénichou 1948, p. 301.

  • 36

    Matyaszewski 2000, p. 85.

  • 37

    Voir Joly 1992.

  • 38

    Voir Ginzburg 2015, p. 191: «Montesquieu è un uomo del passato; Machiavelli è un uomo del presente, e, forse, del futuro» [nous traduisons: «Montesquieu est l’homme du passé; Machiavel est l’homme du présent et, peut-être, de l’avenir»]. Comme Ginzburg le rappelle, c’est à Napoléon III que Machiavel est associé dans le Dialogue. Ibidem, p. 192.

  • 39

    Bénichou 1948, p. 299.

  • 40

    Genette 1987, p. 273.

  • 41

    Genette 1987, pp. 250 sgg., «Préfaces tardives».

  • 42

    Genette 1987, p. 212.

  • 43

    Cf. Nietzsche 1993, p. 218.

  • 44

    Deleuze 1968, p. 3. Cf. Deleuze 2003, p. 226, où le philosophe rappelle que pour Foucault «penser est dans un rapport essentiel avec l’histoire, mais n’est pas plus historique qu’éternel. C’est plus proche de ce que Nietzsche appelle l'intempestif: penser le passé contre le présent – ce qui serait un lieu commun, une nostalgie, un retour, si l’on n'ajoutait pas: ‘en faveur, je l'espère, d'un temps à venir’». Ce dernier passage est tiré de la deuxième Considération inactuelle («je ne vois pas quel serait le sens de la philologie classique à notre époque si ce n'est agir de manière inactuelle, c'est-à-dire contre l’époque et de ce fait sur l’époque, et il faut l'espérer en vue d’une époque à venir»).

  • 45

    Sur cette notion, cf. Vuillemin 2019.

  • 46

    Derrida 1972, p. 19.

  • 47

    Ibidem, p. 13.

  • 48

    Bénichou 1948, pp. 301-302.

  • 49

    Ibidem, p. 303.

  • 50

    Compagnon 2005, p. 27.

  • 51

    Ibidem.

  • 52

    Ibidem.

  • 53

    Ibidem, pp. 25-26. Sur ces aspects voir aussi Norbert Elias 1985, p. 120: «Une haute noblesse assurait une certaine indépendance vis-à-vis du roi, qui, bien entendu, ne devait jamais prendre la forme d’une opposition active. […] le roi empêchait que la société de cour ne se liguât contre lui, par laquelle il assurait l’équilibre et le maintien des tensions, conditions essentielles de l’exercice de son pouvoir».

  • 54

    Bénichou 1948, p. 95. Cf. Compagnon 2005, pp. 27 et 50.

  • 55

    Nous signalons également, avec Genette, la préface d’Émile Faguet à une édition des Lettres persanes (1900); l’étude de Paul Morand (Sur les Lettres persanes, NRF, août 1964, pp. 363-369, puis dans: Paul Morand, Mon plaisir en littérature, Paris, 1967, pp. 17-23), publié à titre de préface (Montesquieu, Lettres Persanes, Paris, Livre de Poche, 1966, avec une préface de Paul Morand); l’édition des Lettres persanes avec préface, commentaire et notes de Georges Gusdorf (Paris, Librairie Générale Française, 1984). Genette 1987, p. 247.

  • 56

    Valéry 1957. La première édition de cette préface date de 1926. Publiée aux éditions Terquem, elle porte le titre de: «Au sujet des Lettres persanes». Elle est ensuite publiée dans «Commerce», VIII, été 1926 et dans Maîtres et amis (1927). Elle est reprise dans Variété II (1929) puis sous le titre «Montesquieu» dans le Tableau de la Littérature française XVIIe-XVIIIe siècle, de Corneille à Chenier, Paris, Gallimard, 1939, pp. 245-254. Cf. la «notice» dans Valéry 1957, p. 1741. Sur cette même préface, cf. Genette 1987, pp. 178, 271, 273.

  • 57

    Genette 1987, p. 273.

  • 58

    Cf. Rosso 1965.

  • 59

    Lettre à Pierre Gaxotte du 8 avril 1933. Valéry 1957, p. 1741.

  • 60

    Valéry 1957, p. 508.

  • 61

    Ibidem, p. 508.

  • 62

    Voir Landi 2019.

  • 63

    Valéry 1957, p. 510.

  • 64

    Adorno-Horkheimer 1974. Sur l’influence de la pensée de Paul Valéry chez les philosophes de Francfort, voir Landi 2019.

  • 65

    Valéry 1957, p. 512.

  • 66

    Ibidem, p. 513.

  • 67

    Ibidem, p. 514.

  • 68

    Montesquieu 1995, p. 87.

  • 69

    Ibidem.

  • 70

    Ibidem, pp. 514-515. Cf. Orlando 1997, pp. 29 et 63: «Ai suoi limiti ironici estremi l’illuminismo è ancora capace di riconoscere, col linguaggio della logica che gli è propria, il fascino della logica che va sterminando; e insolitamente indugia sulla dolcezza di circostanze patriarcali e remote, che alla credulità favolosa furono tanto propizie quanto il progresso crescente le è fatale […] L’illuminismo ha ormai sia mantenuto che tradito rispettivamente tutte le premesse possibili». [nous traduisons: «À ses limites ironiques extrêmes la philosophie des Lumières est encore à même de reconnaître, par le langage de la logique qui est le sien, le charme de la logique au moment même de son abattement; et cette philosophie hésite, de manière inattendue, face à la douceur de quelques circonstances patriarcales et révolues, qui furent autant propices à la crédulité fabuleuse que le progrès lui est fatal […]. Les lumières ont désormais sauvegardé autant que trahi toutes les prémisses possibles»]. Une version abrégée de cet essai a paru en français sous le titre: Rhétorique des Lumières et dénégation freudienne, «Poétique 41», février 1980, pp. 78-89. Cf. Adorno-Horkheimer 1974.

  • 71

    Valéry 1957, p. 516.

  • 72

    Montesquieu 1892, p. 101.

  • 73

    Ibidem, p. 107.

  • 74

    Ibidem, p. 101.

  • 75

    Caillois 1949, p. III. Cf. ibidem, p. IV: «Sa vie entière, il n’a servi qu’une seule cause. Ses œuvres ne forment qu’un seul plaidoyer, où reviennent les mêmes arguments».

  • 76

    Ibidem, p. IV.

  • 77

    Ibidem, p. IV-V. Comme Genette le fait remarquer, Montesquieu emploie le mot «génie» une seule fois «mais avec une simplicité désarmante qui rachète tout». Genette 1987, p. 201.

  • 78

    Ibidem, p. VI.

  • 79

    Ibidem, pp. V-VI.

  • 80

    Caillois 1949, p. VII.

  • 81

    Ibidem.

  • 82

    Caillois 1958.

  • 83

    Sur la notion de «regard ethnologique», cf. Schippers 1991.

  • 84

    Caillois 1949, p. V. À propos de la révolution sociologique de Caillois, voir Starobinski 1989, p. 96. Voir également à ce propos Durkheim 1966. À ce sujet Francesco Orlando précise que, sous couvert de parler des Orientaux (et du Coran), Montesquieu ne parlerait, selon la stratégie du déplacement qui lui est propre, que de notre dogmatisme. Orlando 1997, p. 36.

  • 85

    Caillois 1949, p. VIII.

  • 86

    Orlando 1997, pp. 36 et 41.

  • 87

    Caillois 1949, p. XIV.

  • 88

    Carrère-Porret 2010, p. 177.

  • 89

    «Montesquieu a été le sujet d’un séminaire que j’avais dirigé, durant l’une des deux années où j’ai été assistant à la Faculté des Lettres de Genève (1945-1947). Quand Jean Wahl en 1948 m’a convié à donner une conférence au Collège philosophique […] nous étions à l’époque de l’existentialisme et des débats autour de l’engagement, etc. Je me souviens qu’en évoquant la possibilité d’un exposé sur Montesquieu, j’avais ajouté: ‘Cela ne paraîtra sans doute pas un sujet d’actualité.’ Et Jean Wahl m’avait répondu: ‘Très bien, nous intitulerons votre conférence « Inactualité de Montesquieu». N’ayant pas mieux à proposer dans l’instant, j’ai accepté, mais avec une hésitation dont je me souviens fort bien». Carrère-Porret 2010, pp. 175-176.

  • 90

    Ibidem. Le texte de cette conférence a été ensuite reproduit à titre de préface dans : Montesquieu, Lettres persanes, édition établie et présentée par Jean Starobinski, Paris, Gallimard, 1973 ; ensuite, dans Starobinski 1989, sous le titre: «Exil, satire, tyrannie: Les lettres persanes».

  • 91

    Starobinski 1967.

  • 92

    Carrère-Porret 2010, p. 178.

  • 93

    Starobinski 1998.

  • 94

    Starobinski 1979. «L’expression par lui-même figurait, je crois, sur la page de titre. C’était là une vue ‘existentielle’ qui était souhaitée, et ma façon d’accepter ce programme donnait un certain air d’actualité à mon ouvrage». Carrère-Porret 2010, p. 177.

  • 95

    «À l’époque, j’avais simultanément un autre projet littéraire: celui d’un livre sur les masques, plus précisément sur l’ensemble de problèmes soulevés en littérature par l’emploi des masques et son contraire, le désir de sincérité». Ibidem, p. 176. C’est en 1957 que paraît pour la première fois La Transparence et l’obstacle (Paris, Plon), consacré au concitoyen Rousseau.

  • 96

    «Un roman: c’est un miroir qu’on promène le long d’un chemin». Stendhal 1972, p. 88. Ce mot figure à titre d’épigraphe au chapitre XIII.

  • 97

    Starobinski 1989, p. 92.

  • 98

    Starobinski 1967, p. 15.

  • 99

    Starobinski 1989, p. 120. Cf. Lettres persanes, lettre LXXXIII: «Les hommes peuvent faire des injustices, parce qu’ils ont intérêt de les commettre, et qu’ils préfèrent leur propre satisfaction à celle des autres». Montesquieu 1995a, p. 176.

  • Starobinski 1989, p. 120.

  • 101

    Carrère-Porret 2010, p. 168.

  • 102

    «Nous avons connu une mode intellectuelle – qui venait d’Adorno et Horkheimer aussi bien que de Heidegger – où l’Aufklärung et les méfaits de la civilisation technicienne devenaient des notions strictement superposables. C’est une simplification abusive, qui prend la partie pour le tout, l’effet pervers pour la source». Carrère-Porret 2010, p.181.

  • 103

    Starobinski 1989, p. 110.

  • 104

    Starobinski 1989, pp. 92-93.

  • 105

    Ibidem, p. 120.

  • 106

    Ibidem, p. 116. Il est fait ici référence à: Montesquieu, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence (1734).

  • 107

    Starobinski 1989, p. 115

  • 108

    Caillois 1949, p. XVIII. Cf. Foucault 1984, p. 248: «Le cynisme est donc cette espèce de grimace que la philosophie fait à elle-même, ce miroir brisé où le philosophe est appelé à la fois à se voir et à ne pas se reconnaître».

  • 109

    Compagnon 2005, pp. 7-8.

  • 110

    Ibidem, p. 9.

  • 111

    Adorno 1984, pp. 71-81. Sur l’intellectuel en tant que funambule chez Paul Valéry, cf. Landi 2019, p. 150.

  • 112

    Caillois 1958.

  • 113

    Starobinski 2004.

  • 114

    Montesquieu 1995b, livre XI, chap. vi, «De la constitution d’Angleterre», pp. 327-342. Cette idée remonte en fait à Locke et à son Traité du gouvernement civil (Two Treatises of Government, 1690).

  • 115

    Carrère-Porret 2010, p. 181.

  • 116

    «L’illuminismo ha ormai sia mantenuto che tradito rispettivamente tutte le promesse possibili». Orlando 1997, p. 63. Pour l’analyse des Lettres persanes en termes freudiens, cfr. Ibidem, pp. 37-55.

  • 117

    Ibidem, p. 51.

  • 118

    Montesquieu 1995, p. 64. Cf. Orlando 1997, p. 51.

  • 119

    Montesquieu 1995, p. 67. Cfr. Orlando 1997, p. 54.

  • 120

    Sur le livre de messe d’une femme du pays, on lit ceci: «Ce jour d’hui, 18 janvier 1689, a été baptisé dans notre Église paroissiale, le fils de M.de Secondat, notre seigneur. Il a été tenu sur les fonds par un pauvre mendiant de cette paroisse, nommé Charles, à telle fin que son parrain lui rappelle toute sa vie que les pauvres sont nos frères». Cf. Vian 1878, p. 15. Un autre témoignage est rapporté par Louis Desgraves: «Mme de La Brède était en travail d’enfant. On lui annonça qu’un pauvre est à la porte du château demandant l’aumône. Elle donne l’ordre de le retenir pour être parrain de l’enfant qu’elle mettait au monde». Desgraves 1998, p. 21.

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Informazioni
Cita come: Michela Landi, Inactualités de Montesquieu: Valéry, Caillois, Starobinski in DILEF. Rivista digitale del Dipartimento di Lettere e Filosofia - 2 (2023), pp. 123-145. 10.35948/DILEF/2023.4311